Quand je suis repris par mes addictions mentales, en boulimie de stimulations intellectuelles à visée purement terrestre pour fuir ma présence et ma conscience, il arrive heureusement toujours un moment où les frustrations générées m'amènent à un dégoût de moi-même. Alors je sais que je dois me reprendre, revenir à mes fondamentaux.
Je dois en premier lieu stopper l'excitation du mental, et, pour ce faire, plus les moyens seront radicaux, plus ce sera rapide et efficace. Donc je me pose et "j'arrête tout" ! (En suivant l'exercice, ou plutôt le non-exercice, que j'ai décrit dans mon texte « Heureux celui qui est avant d'exister ! ») Je me sèvre de toute possibilité extérieure de stimulation intellectuelle et, que ce soit chez moi ou mieux dans la nature, je redeviens "personne" : je force mon mental à se mettre en mode pause en écartant toute considération existentielle me concernant, je redeviens juste silence et simple présence à ce-qui-est-là. Je retrouve alors la paix dans la vraie solitude, seul avec moi-même et pas seul avec mon mental. La solitude comme cocon protecteur de ma sensibilité, fluide régénérateur de ma force intérieure...
Solitude... Vraiment ?
J'ai si longtemps été obnubilé par ma solitude affective qu'il n'y avait pour moi pas de demi-mesure : je n'avais pas d'amis ni de femme dans ma vie, donc j'étais seul. Être solitaire, c'était être seul.
Depuis que je ne vis plus seul, je ne cesse de me rendre compte à quel point cela était faux. Si j'avais vraiment été seul durant toutes ces années, je n'aurais jamais tenu le coup, j'aurais sombré ! La solitude était ma meilleure amie, et en elle et par elle, j'en trouvais mille - des amis ! Je ne me rendais pas compte du plein de la solitude.
Prenons la nature.
Je me suis toujours senti moins seul dans la nature. Pourquoi ? Certes la nature de la nature apaise le mental, et, le sentiment de solitude étant créé par le mental, qui coupe toujours l’être de son environnement pour le renfermer sur lui-même, si le mental est apaisé, le sentiment de solitude va également diminuer. Mais l’énigme demeure, car si j’analyse objectivement, bien sûr que je ne suis pas seul dans la nature : il y a les oiseaux, d’autres animaux parfois, il y a les fleurs et les arbres..., je peux apprécier de repérer et d’observer tout cela, mais est-ce que je discute avec le rouge-gorge, est-ce que je dialogue avec le chevreuil, est-ce que je bavarde avec le chêne ou avec les anémones ? Non. Terrestrement, où est l’échange interactif, où est la communication réciproque ?
D’où vient alors cette paix, ce ressourcement que me procure la nature, lorsque je m’ouvre et me donne à elle ? D’où vient au milieu d'elle ce ressenti d’être-relié, tel qu’il peut se former avec un autre être humain, ou même un animal domestique ? Il y a nécessairement là quelque chose d’un autre niveau !
Je ne vais jamais dans la nature sans emporter mes jumelles, ceci afin de pouvoir observer au mieux, lorsque l’occasion se présente, oiseaux ou autres animaux, mais ce n’est qu’un prétexte pour me maintenir en mouvement et ouverture intérieurs lors de mes promenades. Observer des animaux, la nature physiquement visible, n’est pas une fin en soi pour moi, car je sais que l’essentiel n’est pas là, que l’essentiel est au-delà !
L’essentiel est dans l’essence de la nature, dans le ressenti de l’énergie qui la sous-tend, la forme et la maintient, au-delà de ses manifestations visibles. Comment dire ? Il y a un courant, une vibration, une irradiation particulière, propre et unique à cette dimension particulière de la nature, et c’est cela qui, je le sens, me régénère ! Et qui aussi, dans la stimulation de son mouvement vivant, m’inspire : car c’est dehors, dans la nature, que j’écris le plus facilement, que les mots me viennent le plus aisément. Connecté en présence à l’essence de la nature, tout devient plus clair, plus fluide, plus léger... Je me sens plus vivifié par quelques heures passées à "ne rien faire" (du point de vue de l’intellect) dans la nature, si ce n’est marcher, goûter l’air et la lumière et observer, que par quoi que ce soit d’autre. C’est de l’ordre de la magie pour moi, un enchantement constant dans le ressenti éprouvé de "vivance", d’être vivant et relié au vivant !
À ne surtout pas confondre avec le plaisir purement personnel du jouisseur, auto-centré, refermé sur lui-même seul avec son sentiment de bien-être, où le sentiment de solitude n’a pas disparu mais est juste temporairement recouvert par l’auto-exaltation/contentement du moment.
Non, c'est uniquement dans l'abandon et l'ouverture intérieurs qu'il y a un échange, qu'un échange peut se créer, pas dans un vouloir-jouir/profiter qui ferme automatiquement la porte à une interaction véritable. Le seul vouloir à poser, spirituel, ne réside toujours que dans l'accueil et la disponibilité, c'est cela qui crée naturellement réciproquement le Lien avec la vie et le vivant (je m'ouvre à la vie, la vie s'ouvre à moi). Jamais un vouloir mental, toujours plus ou moins autoritaire, ne peut accéder à cela, contrairement à ce que l'intellect égotique veut nous faire croire.
Mais ce domaine de ”l’essence de la nature”, que j’appellerai ”l’essentialité”, aussi important soit-il pour me reconnecter à ma propre essentialité, puisque de par mon corps je fais moi aussi partie de la nature, reste toutefois d’un genre différent de celui auquel j’appartiens en tant que esprit humain. L’essentialité, ce n’est pas la spiritualité. C’est pour cela que la plupart des gens, donc des esprits humains, cherchent en premier lieu à créer des liens avec d’autres esprits humains, à se nourrir de relations humaines, donc spirituelles, puisque concernant des esprits. Mais là où les liens créés avec l’essentialité sont toujours porteurs (cela est dû au fait que l’essentialité vibre dans la volonté de Dieu, qui a créé les lois de la Nature), il en est tout autrement, ici sur terre, en ce qui concerne les relations entre humains, à cause de notre libre arbitre et de notre coupure avec la Lumière, d’où le fait que la nature, dans sa pure simplicité, puisse constituer un refuge pour les blessés spirituels. Toutefois, malgré mes traits autistiques me poussant dans ce sens, je reste un esprit humain, pour lequel la nourriture spirituelle reste absolument indispensable, vitale, sinon l’esprit reste bloqué dans son évolution, il se renferme sur lui-même, se sclérose et dépérit. Alors, où, et comment, est-ce que je me nourrissais spirituellement dans la solitude ?
Avant même de me nourrir spirituellement consciemment, par la lecture d’ouvrages à caractère spirituel, c’est la musique qui me maintenait intérieurement à flot. Même pas comme musicien, juste comme auditeur.
C’est là aussi quelque chose de fascinant : s’asseoir dans son fauteuil, lancer la musique... et voyager ! S’envoler ! Avoir l’impression de partir dans un autre monde, de découvrir de nouvelles sensations et émotions, d’être plus riche de vie et de lien... tout en n’ayant pas bougé physiquement ! C’est là la force de l’ART ! L’art véritable, inspiré et inspirant, celui qui nourrit et élève l’âme, pas l’art comptant pour rien, ne parlant qu’au mental ou aux bas instincts, en les excitant ou étant complaisant avec eux.
La musique, principalement instrumentale dans mon cas, a toujours porté et nourri mes aspirations profondes. Me soutenant et réconfortant lorsque j'en avais besoin, m'accompagnant lorsque je me sentais seul. J'ai eu la grâce de trouver, dans tous les genres, des morceaux de musique avec lesquels je résonnais puissamment, ce qui me permettait d'avoir toujours au moins un ”morceau-ami” selon mon état d'âme du moment. Tel morceau dynamique me donnait envie de danser joyeusement pour stimuler mes énergies de vie, tandis que tel morceau mélancolique m’aidait à sortir les larmes quand la souffrance intérieure me pesait trop, et j’avais même si besoin quelques morceaux rock plus sombres pour crier rageusement mon désespoir ! Cette possibilité d’extériorisation de mes émotions, dans le cadre sécurisé de ma solitude, était cathartique, et elle a été, j’en suis sûr, fondamentale pour m’empêcher d’imploser intérieurement (et je suppose que c’est l’inverse pour un caractère extraverti : un besoin d’intérioriser pour ne pas exploser). Toutefois, grâce à la noble aspiration du compositeur, la musique n’était pas complaisante dans ces émotions négatives ; elle cherchait toujours à trouver la lumière, le bout du tunnel. La musique se faisait alors prière, m'aidant ainsi à porter mes propres prières vers le haut...
Le fait de créer un lien invisible avec le compositeur de par l’écoute de sa musique est une évidence (cela vaut pour tout art et tout artiste), et c’est ce qui explique que chacun a ses propres artistes préférés, différents de ceux d’un autre, mais en rester à ce niveau d’appréhension serait une grosse erreur, car l’œuvre authentique dépasse toujours de loin son auteur, de par l’inspiration qui s’est adjointe au vouloir personnel de l’artiste, laquelle démultiplie le potentiel de l’œuvre. En me connectant à un morceau de musique d’untel, je me connecte davantage à ce à quoi l’artiste s’est connecté lors du processus créatif, qu’à sa seule vibration propre. Quand la musique désigne la lune, l’idiot regarde le musicien ou décortique la musique ! L’artiste (ou l’écrivain que je suis ici) n’est jamais qu’un instrument, un transmetteur. Tout artiste véritable le sent et le sait : il n’est qu’un ultime metteur en forme, au service de plus grand que lui, et c’est pour cela qu’il est lui-même émerveillé et reconnaissant de ce qui s’exprime à travers lui quand ”tout coule”, et qu’il se sent à l’inverse frustré quand il sent que son œuvre ne vibre pas à la hauteur de son ressenti intérieur. Notre faculté de ressentir purement et nos moyens de l’exprimer correctement sont si limités !
La musique (l’art en général) est un langage universel, le plus populaire aujourd'hui, à la fois accessible à tous et compréhensible par tous, même si le musicien et l’auditeur ne parlent pas terrestrement la même langue. Sa grande force réside dans le fait mystérieux, alors qu’elle a pourtant, de par le son des notes, une base matérielle, de court-circuiter l’intellect bruyant et brouillant, et ainsi de parler directement à un niveau plus profond de l’être. Notons toutefois que l’intellect terrestre en tant que tel est neutre, ce n’est pas un ennemi (sinon je n’écrirais pas) ; s’il peut être "décanté" de ses pensées compulsives et conditionnées, il devient un puissant allié, aussi bien en émetteur que récepteur, d’où la force également des grands écrivains et de l’art dramatique - l’art de la parole.
Mais allons plus loin dans le lien spirituel : pensons aux qualités et vertus humaines ! D’où viennent-elles ? Qu'est-ce qui nous pousse à trouver joie et force en elles ? Ne sont-elles vraiment que le produit d’une neurochimie cérébrale ? Quand j’aspire à l’intégrité, à la bonté, à la pureté..., est-ce que je résonne alors vraiment avec du vide, rien de réel ? Je n’y crois pas du tout. Je suis au contraire convaincu que je m’inscris alors dans une ”irradiation” particulière, comme un dernier maillon terrestre d’une très longue chaîne spirituelle vibrante ; cela me soutient, me nourrit, me stimule, m’élève... C’est vivant !
J’aurais tant aimé développé cet aspect autant que les autres, à la mesure de son importance fondamentale, mais la conscience éveillée, la véritable expérience vécue et la maturité spirituelle pour cela me manquent... Je dois en rester à ce simple mais ferme pressentiment.
De votre côté, pensez seulement à l’amour (pour votre compagnon ou compagne, vos enfants, votre chien ou chat, votre passion...). Avez-vous décidé d'aimer, ou est-ce plutôt l’amour qui vous a saisi ? Oseriez-vous affirmer que vous êtes le créateur ou la créatrice de cet amour ? N’en êtes-vous pas plutôt un instrument, une caisse de résonance ? ...
Que retenir de tout cela ?
La solitude n’existe pas, si l’on veut bien voir au-delà du terrestrement visible !
Je suis sûr que vous pouvez vous aussi trouver dans votre vie des moments où vous ne vous sentez pas du tout seul/e, tout en l'étant terrestrement.
Tout est vie autour de nous, rien n’est mort. ”Tout est plein d’âmes”, comme dit Victor Hugo dans Les Contemplations.
À condition de s’y ouvrir, donc déjà d’y être ouvert ! Car nous ne sommes jamais seuls, sauf si nous croyons l’être. Nous ne sommes jamais seuls, sauf si nous décidons nous-mêmes de l’être !
Et pour aider afin que la solitude ne soit plus synonyme d’esseulement, il y a pour moi deux grands guides inégalables, à cultiver et à suivre en totale confiance : l'émerveillement candide et le sens de la beauté ! Le fait de pouvoir encore s’émerveiller comme les enfants et de vouloir vibrer avec le Beau, nous ouvrira et nous reliera toujours à ce ”plus grand que nous” qui est notre aspiration la plus profonde, et qui nous attire alors tel un puissant aimant.
Alors vient aussi le pressentiment que la beauté est VIVANTE et que, de ce fait, elle ne peut avoir de fin, seules ses formes changent. Les formes terrestres périssables que je vois ici ne sont que condensation la plus matérielle de formes plus éthérées à la vibration de vie plus élevée. La beauté de la nature du monde visible ici-bas n’est qu’un bien pâle reflet par rapport à la beauté des mondes supérieurs !
Ne nous trompons donc pas de cible. Ne nous laissons pas abuser par la matière, même s'il ne s'agit pas de la mépriser. Le monde visible ici-bas n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’une infime partie de la totalité ! Notre véritable patrie est ailleurs... C’est aussi cela que nous rappelle une saine solitude, en une ardente nostalgie salvatrice.