Il y a quelque temps, en me promenant dans une galerie commerciale, j'ai été pris par surprise par mon reflet dans une glace : peu de cheveux, bedonnant... j'ai vu quelqu'un de vieux ! "C'est moi ça ?" Pendant un instant, je ne me suis pas reconnu !
Avez-vous remarqué combien on voit plus facilement les autres vieillir que soi-même, alors même que pourtant on se voit chaque jour dans un miroir ? Parlons-en de ce maudit miroir ! S'il n'existait pas, est-ce que je me verrais vieillir ? Est-ce que je penserais même que je vieillis ? Mieux : dans un monde sans miroirs (*), est-ce que je croirais que je vieillis ? ... [(*) ou un monde où je n'observerais jamais mon corps]
C'est ce qui m'a à nouveau interpellé dans l'anecdote racontée plus haut : le décalage entre ce que me disait ce que je voyais et ce que me disait ce que je ressentais. Avant que ma raison, après l'effet de surprise, ne se ressaisisse et me dise "si si, c'est bien toi !", il y avait bien eu un moment innocent où je ne m'étais pas identifié à cette forme dans la glace. Et si ma raison avait tort ? N'est-ce pas cette même raison qui m'assujettit au temps du calendrier, rythmé par ses anniversaires et ses nouvelles années, finissant ainsi "avec le temps" par me conditionner à une finitude ?
Je vieillis ; est-ce vrai ? Mon corps vieillit, certes, mais moi, ce que je suis en essence, est-ce que je vieillis ? Est-ce que je change même ?
Ma conscience même, la conscience intrinsèque que j'ai d'exister, est-elle différente aujourd'hui d'il y a 1 mois ou 15 ans ? À cette époque, j'étais conscient d'un certain CORPS, plus jeune, plus vigoureux ; d'une certaine ÂME, plus oppressée, plus tourmentée... mais cela qui en était à chaque fois conscient, cela à qui ce corps et cette âme apparaissaient alors, n'est-il pas exactement le même aujourd'hui ? Tout comme il sera également identique demain et dans 5 ans ? Mon corps et ses aptitudes physiques changent, mes états d'âme et émotions fluctuent, mes pensées et sentiments évoluent, mais ce qui les vit ne varie pas ! Je sens bien une indéniable continuité à mon être, en arrière-plan ou fond d'écran de mon existence. Il faut donc bien qu'à un certain niveau il y ait un référentiel fixe, sinon je n'aurais aucun recul possible, ce qu'infirme l'expérience.
Dit autrement : Tout ce que je vois, tout ce que je vis, tout ce que je pense, tout ce que je ressens... arrive à "je" ! "JE" est le seul point commun à toutes les expériences, le seul point fixe, permanent et immobile, au milieu des perpétuelles formes changeantes. Le voyez-vous ? Tout va et vient, tout passe... sauf ce "je" ! "Je" est toujours là, en tant que le noyau de mon être, immuable et inaltérable. "Je" est ce que je suis vraiment. "Je" est la trame de mon existence, ce qui en forme à la fois la continuité et l'essence.
Une expérience toute bête permet d'en donner une analogie physique : lorsque je me pince la main entre deux doigts, je sens le pincement... mais cela même qui sent le pincement, est-il lui-même pincé ? (faites l'expérience maintenant) ... Non. Ce qui est conscient du pincement, ce qui le note et en est témoin en moi, n'en est pas lui-même affecté intrinsèquement ; il n'est pas modifié par le pincement. À la fois touché par le pincement, sensible à lui qui s'imprime dans sa perception, et pourtant totalement identique avant, pendant et après le pincement. Il en est de même à un niveau émotionnel : dire "je suis triste" est une identification inconsciente ou une façon de parler, mais pas une vérité. En réalité, je sens la tristesse, mais je ne suis pas la tristesse ("je" sens la tristesse, mais "je" n'est pas la tristesse). De la même façon, je vois la vieillesse mais je ne me sens pas vieux.
Il est profondément revigorant pour moi de revenir régulièrement, consciemment, à cette source-origine de moi-même. Au lieu d'avoir mon attention dirigée exclusivement - comme emportée et s'y perdant - vers les manifestations (objets) apparaissant dans ma conscience, je ramène mon attention sur la conscience-témoin elle-même, qui ne sera jamais objet car éternel sujet de tout objet, et je me res-source en elle - c'est-à-dire en moi. À force d'approfondir, d'explorer cette conscience que je suis ultimement (cette conscience que "je" est), j'en suis venu à la conviction de sa totale permanence et inaltérabilité. Je n'ai plus peur de la mort, puisque ce ne peut être ma mort, seulement celle de mon corps. Ma conscience elle-même, étant au-delà de l'éphémère et du périssable, ne peut mourir. Je ne peux donc mourir non plus.
Je suis immortel.
Je suis ESPRIT.