DU SILENCE À MON SILENCE

 

 

En partant du silence, je vous invite à un petit voyage vers l'essence de qui nous sommes.

Avant de goûter le son du silence, commençons donc par le voir !

 

VOIR LE SILENCE

 

Regardez ce mot : silence

 

Regardez bien ce mot : SILENCE

 

OK vous l'avez lu, mais pourquoi est-ce qu'il vous a été possible de le lire ?

Ou si vous préférez, comment avez-vous pu voir ce mot pour le lire ?

 

Ce mot est constitué de 7 lettres : S, I, L, E, N, C, E.

Votre cerveau reconnaît les lettres, les associe à la vitesse de l'éclair et le mot se forme dans votre tête.

Mais d'où « sortent » les lettres ?

 

S    I    L    E    N    C    E

 

Ces lettres que vous voyez, c'est de l'encre (réelle si vous lisez sur papier, virtuelle si vous lisez sur ordinateur) qui crée une forme particulière sur un fond blanc : le papier ou l'écran.

Que se passe-t-il quand vous lisez ? Vous lisez les lettres, les mots, les phrases... et vous oubliez le papier, l'écran, le fond.

C'est tout à fait normal pour lire.

Mais si, pour une fois, nous nous intéressions un peu au fond, à l'arrière-plan ?

 

Ces lettres et ces mots, pourraient-ils apparaître, être visibles, sans le papier ou l'écran blanc ?

Non. Le fond est essentiel à leur perception.

Sans le fond, le support, pas de mots, pas de textes possibles. Ils n'existent pas, n'ont aucune réalité autre que virtuelle.

C'est donc le fond qui, en quelque sorte, « donne naissance » aux mots. Seul le fond est réel en soi ; les lettres, elles, dépendent du fond pour leur existence. On pourrait dire : le fond est, les lettres existent !

Quand vous lisez, c'est-à-dire quand vous scannez chaque ligne de gauche à droite, c'est donc comme si chaque mot émergeait du papier puis y retournait. Mot-papier-mot-papier, etc. En lisant, les mots naissent et meurent, le fond demeure.

Nous sommes pris par les mots (c'est le propre de la lecture), mais le papier est toujours là, indispensable, essentiel en arrière-plan. C'est le même processus au cinéma, avec les images du film sur l'écran blanc.

Mais c'est même plus que ça !

Peut-on vraiment dire que c'est soit le mot soit le papier ?

Le mot efface-t-il, remplace-t-il le papier ?

Non, le mot sur la page est aussi fait du papier, qui en est le support indispensable. Le mot recouvre le papier, mais ne le supprime pas (pour découper un mot sur une page, il vous faut aussi découper le papier avec). Même chose sur l'écran d'ordinateur ou de cinéma.

 

Que ce soit dans l'imprimerie, la lecture, la télévision ou le cinéma, tous objets visuels, nous repérons donc un substrat toujours présent, dont tout découle.

 

ÉCOUTER LE SILENCE

 

Passons en mode audio !

Écoutez les sons autour de vous...

 

Vous pouvez, selon votre environnement, vous focaliser sur un type de son particulier, un chant d'oiseau ou le bruit des voitures.

Écoutez ces sons, ces bruits. Sont-ils permanents, ininterrompus ?

L'expérience peut être plus difficile en ville, où vous pouvez parfois avoir l'impression d'un brouhaha constant, mais ce brouhaha n'est que la superposition de différents types de sons. Chaque type de son, lui, est-il toujours continu ?

Non. Un son, un bruit, a toujours un début et une fin, une durée limitée.

Pouvez-vous entendre cela, l'écouter ?

 

Son-silence-son-silence, etc.

 

Qu'est-ce qui est toujours là, présent, immuable ? Le fond de silence. On y revient toujours !

On pourrait dire poétiquement : chaque son émerge du silence, puis y retourne. Ou : chaque bruit naît du silence, puis retourne y mourir. Mais qu'est-ce qui, ni ne naît ni ne meurt ? Qu'est-ce qui demeure ? … Le silence.

C'est le silence seul qui me permet de prendre conscience des sons !

Si le silence n'était pas, les sons ne pourraient être révélés et reconnus. Sans le silence, nous n'aurions même pas la notion de bruits ou de sons.

Seul le silence permet au son d'exister !

 

Pouvez-vous alors modifier votre écoute et prêter maintenant davantage attention aux silences, ou au fond de silence, qu'aux sons ?

Pour un chant d'oiseau, avec un peu de pratique, vous pourrez même finir par entendre les brefs silences entre les notes. Vous pourriez aussi vous entraîner en écoutant une conversation, ou une discussion à la radio ou à la télévision.

Mais si vous faites cette expérience dans la nature, vous serez peut-être totalement saisi/e, comme ce fut le cas pour moi un jour, par cette révélation : la nature est fondamentalement silence ! Alors que j'étais constamment aux prises avec le tohu-bohu de pensées dans ma tête, cela avait été un choc pour moi de prendre conscience tout à coup de combien le soleil rayonne sans bruit, combien les arbres et les fleurs poussent sans bruit, combien la pluie tombe sans bruit..., bref de découvrir combien le silence dans la nature est... assourdissant ! Et c'est pour cela que la nature fait autant de bien à l'être, le silence intrinsèque de la nature assourdissant lui-même la voix dans la tête qui nous assourdit en général.

 

Allons plus loin.

Les sons, lorsqu’ils sont présents, remplacent-ils le silence ? Prennent-ils vraiment sa place ?

Non. Le chant d'un oiseau n'annihile pas le silence naturel, il se superpose juste à lui, le recouvre temporairement, mais le silence est toujours là, en arrière-plan.

Pouvez-vous donc maintenant le ressentir et rester en contact avec lui, non seulement entre les sons et les bruits, mais également pendant ?

Essayez, là maintenant, avec les bruits qui vous entourent...

 

Cette autre écoute n'est certes pas habituelle, contraire à nos habitudes. De même que nous ne voyons dans le ciel que les nuages, en oubliant que le ciel bleu est toujours présent derrière. Mais je vous assure que c'est un exercice très formateur et enrichissant, aussi bien en visio qu'en audio.

 

En audio :

 

Savez-vous que pour l'écoute optimale de la musique classique il est recommandé d'apprendre à porter son attention sur les sons les plus bas, alors que la tendance habituelle, la plus facile pour l'oreille, est de ne s'intéresser qu'aux notes « proéminentes », les plus aiguës (au piano par exemple, le jeu de la main droite plutôt que celui de la main gauche) ? Si vous n'écoutez que le premier plan, vous n'entendrez que le premier plan. Mais si vous écoutez depuis l'arrière-plan, vous entendrez tout de l'arrière-plan jusqu'à l'avant-plan, soit une expérience sonore et musicale beaucoup plus riche !

Eh bien, la prochaine fois que vous participerez à une conversation entre amis, essayez d'écouter à partir du fond de silence plutôt que d'être aussitôt uniquement happé/e par les paroles. Vous verrez, votre qualité d'écoute et de présence n'aura rien à voir ! Vous vous sentirez beaucoup plus « stable » et réceptif/ve, et, s'il s'agit d'une discussion tendue (par exemple entre collègues au travail), vous serez beaucoup moins déstabilisé/e et emporté/e par l'avant-plan des échanges, car bien ancré/e dans le fond de silence à l'arrière-plan.

 

En visio :

 

Il n'est en général pas utile de lire un livre en essayant de rester présent au papier blanc, ni d'aller voir un film au cinéma en restant conscient de l'écran blanc. Par contre, regarder la télévision, ou quelque chose sur son ordinateur ou smartphone, en n'oubliant pas totalement l'écran, permet de moins être « absorbé » par les images, donc « inconscientisé » puis influencé par le pouvoir de l'image. Cela permet notamment de ne pas oublier que ce ne sont toujours que des images sur un écran, et pas ma vie réelle à moi, ici et maintenant !

Je fais régulièrement cette prise de recul si je tombe sur des informations télévisées qui me mettent mal à l'aise, ou pour utiliser de façon profitable mon temps pendant les pauses publicitaires (tout en coupant le son). Les écrans et leur pouvoir hypnotique, c'est vraiment un très bon moyen pour s'entraîner à ne pas être entraîné !

Et si vous faites cela en restant aussi en parallèle en contact avec votre corps, vos sensations corporelles, vous allez voir que vous allez gagner très vite en qualité de présence consciente globale, ce qui vous sera très profitable dans plein d'autres situations de la vie quotidienne.

C'est cela, le pouvoir de l'arrière-plan !

 

Mais rapprochons-nous-en encore plus...

 

LE GRAND SECRET

 

Oui, le silence est à la fois grand et secret : discret, intime, inexprimable... Trop peu connu, mais pas inconnaissable, comme nous l'avons déjà exploré. Mais sa connaissance peut nous révéler aussi un grand Secret sur nous-même, sur notre réalité profonde et essentielle, car rien ne ressemble plus à notre véritable nature que le silence !

 

Alors qui suis-je ? Que suis-je vraiment ?

 

Si je reprends les images que nous avons vues précédemment et que je les applique à ma vie intérieure la plus intime, quel est mon écran ou mon papier blanc ? Quel est mon substrat primordial essentiel ? Quel est l'arrière-plan de toute mon existence ?

Cherchez le fond de présence ultime, l'originel, le premier !

Qu'est-ce qui en vous demeure toujours, support de toutes les formes qui, à l'inverse, apparaissent, s'expriment un certain temps, puis disparaissent en vous (sensations corporelles, pensées, émotions...) ?

Tout ce qui se manifeste en vous ne peut pas être ce support, car ce qui se manifeste en vous est toujours un objet devant vos yeux intérieurs, donc pas l'arrière-plan lui-même d'où tout est vu.

Qu'est-ce qui est donc toujours « derrière vos yeux » et ne sera jamais devant ?

Qu'est-ce qui ne se manifeste pas, puisque cela est toujours là ?

 

Je pense que vous commencez à voir où je veux en venir, mais je vous invite vraiment à encore rester dans une exploration intérieure vivante et intuitive, sans trop vite clore le sujet (c'est le cas de le dire !) en l'enfermant mentalement dans un concept uniquement intellectuel, donc limitant, du genre « ben, c'est moi ! ». C'est qui, ou plutôt c'est quoi, « vous » ? Quelle est sa nature, quelle est son essence ? Vivez ce « vous », ressentez ce « vous » – ne le pensez pas !

 

Revenez à l'arrière-plan que vous êtes, à l'origine la plus originelle de vous-même !

Ressentez cela, faites profondément l'expérience vécue du sujet que vous êtes, sujet de tous les objets qui apparaissent dans votre conscience.

Vous êtes ce Sujet qui ne sera jamais un objet, de la même façon que l’œil ne peut pas se voir lui-même, puisque c'est lui qui voit.

Voyez que vous êtes le Support premier, conscient de tout ce qui apparaît à sa surface mais qui n'en est pas de la même nature.

 

Pouvez-vous voir et éprouver que sans ce « fond conscient », cette « conscience de fond » que vous êtes, rien n'existerait pour vous ? Que c'est seulement cet écran nu de votre conscience, fondamentalement Silence, qui permet à tout de se manifester, sans en être lui-même dénaturé en quoi que ce soit (de même qu'au cinéma il n'y a jamais aucune perte de substance ni détérioration de l'écran, quel que soit ce qui s'y projette) ?

 

Pouvez-vous voir et éprouver que là où vous êtes, il y a un « point de conscience » plutôt que rien ? Et donc, depuis ce « point de conscience » que vous êtes, qu'il y a à chaque instant un point de vue conscient totalement UNIQUE, uniquement propre à vous-même, qui n'a jamais été avant et ne sera jamais reproduit ensuite ? N'est-ce pas extraordinaire, fascinant, merveilleux, d'en prendre profondément conscience ? Est-ce que cela ne relativise pas beaucoup de choses que nous laissons nous oppresser ?

 

Ainsi nous ne sommes pas ce que nous pensons ou ressentons ; nous sommes cela qui le pense ou le ressent. Qui suis-je ? Je suis cette conscience silencieuse derrière la voix du mental, pas la voix elle-même. Qui suis-je ? Je suis ce « foyer » d'où naissent mes pensées, pas mes pensées elles-mêmes. Qui suis-je ? JE SUIS LE SILENCE EN MOI, PAS LE BRUIT !

 

Mais cela, nous l'avons oublié. Alors nous nous identifions au bruit, de la même façon que nous sommes pris par le film projeté sur l'écran de cinéma, en oubliant que pendant tout ce temps l'écran reste en réalité toujours blanc, pur et immaculé. Ce ne serait pas si grave si nous en étions régulièrement conscients ou si nous arrêtions notre « cinéma mental » de temps en temps, mais est-ce le cas ? Malheureusement non... Nous continuons la plupart du temps à nous faire souffrir avec nos petits films intérieurs, en pensant que c'est cela vivre, alors que la vraie vie est ailleurs, au-delà ou en-dessous de ces images illusoires. Nous ne voyons plus que la tache sur la vitre, en croyant que si l'on enlève la tache la vitre n'existera plus ! Nous ne voyons plus que la grisaille dans le ciel, en oubliant que derrière elle le ciel est toujours bleu ! À chaque fois, nous avons oublié et perdu le contact avec l'Immuable, le Permanent, la Profondeur en nous, et nous préférons nous identifier à ce qui n'est que fluctuant, temporaire, périssable à la surface de notre être...

 

À l'inverse, se caler sur le silence extérieur, donc, par résonance immédiate (effet de réciprocité), sur notre Silence intérieur, c'est se placer dans l'œil du cyclone ! C'est être capable, au-delà du tumulte parfois des pensées ou des émotions, de demeurer avec le ciel bleu, de rester en contact avec notre écran blanc intérieur. Nous pouvons alors observer et laisser passer plus sereinement les nuages ou la tempête, sans trop nous y accrocher, voir plus consciemment le film de notre vie se dérouler, sans qu'il ne déstabilise nos fondations intérieures, car nous sommes désormais bien ancrés en nous-même. Le mental redevient uniquement témoin de notre vie, il n'interfère plus. L'être spirituel-conscient que nous sommes intrinsèquement, libéré de son oppression, peut alors reprendre la place qui est la sienne, celle du véritable acteur de son existence !

 

Jérôme Lemonnier

 

 

Publication originelle :

Présences Magazine n°25 - Mai 2021

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Présences Magazine n°25 - Jérôme Lemonnier
Du silence à mon silence
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