LE POUVOIR DE L'ICI & MAINTENANT
À chaque fois que je me sens déstabilisé, en mal-être, tendu ou oppressé, c'est que je me suis inconsciemment écarté de ma vérité du moment, de mon intégrité de l'instant.
Je ne suis plus présent à moi-même.
Je me suis écarté de mon Centre.
Je me suis projeté « ailleurs » !
Heureusement, nous avons tous des moments de rappels à nous-même dans notre vie, nous rappelant de revenir à nous, de « reprendre nos esprits » comme le dit la sagesse populaire - mais je préfère dire : de reprendre notre esprit (car nous n'en avons qu'un chacun !). Ces instants de lucidité sont fondamentaux, essentiels pour notre évolution personnelle et spirituelle. Ce sont eux qui nous aident à nous remettre en question, qui nous poussent à faire une pause, à nous interroger sur ce que l'on veut vraiment, et donc à avancer. C'est dans ces instants, et eux seuls, que nous pouvons réaccéder à notre libre arbitre, faire des choix en conscience, décider de l'orientation de notre vouloir. Pour mieux poursuivre notre chemin, ou décider d'en emprunter d'autres.
Malheureusement, ces moments ne nous en fournissent que l'opportunité, pas la certitude de la saisir. Car la plupart du temps, quand nous nous retrouvons ainsi de nouveau face à nous-même, nous ne savons pas quoi en faire. Nous ne savons pas comment mettre à profit cet instant. Habitués et conditionnés par un certain fonctionnement mental ou émotionnel, nous nous trouvons tout d'un coup démunis en nous retrouvant ainsi « tout nu » dans cet instant suspendu hors du temps, ce hiatus spirituel.
« Et maintenant, qu'est-ce que je fais ? »
Faute de trouver la réponse à cette question, faute de comprendre ce qui se joue à cet instant, nous attendons généralement juste que le mental revienne occuper l'espace vide, ce qu'il ne tarde jamais à faire - il s'y empresse même ! -, pour retomber ensuite dans la commodité de nos petites habitudes.
Avant de pouvoir mettre à profit l'instant présent et en expérimenter la valeur, il nous faut d'abord bien reconnaître et prendre conscience de ce qui nous en sort. Car sinon, une fois rappelés à nous-même, nous nous laisserons toujours re-happer par les mêmes tendances, sans pouvoir essayer de prolonger, d'approfondir cette « instantification » de nos vies.
Donc, qu'est-ce qui me déconnecte de l'instant présent ?
J'ai beaucoup été aidé par l'image suivante : nous pourrions considérer qu'il y a 2 axes formant 4 directions possibles, tel le repère mathématique orthogonal de notre scolarité, avec son axe horizontal et son axe vertical se croisant au point central O – vous vous souvenez ? Le point O serait ici l'Origine de nous-même, quand nous sommes bien en notre Centre (en notre Soi, diraient certains), totalement conscient et présent dans l'instant présent. En ce point O, à l'image de la singularité initiale du Big Bang (le point de volume nul à l'origine de l'univers), le temps et l'espace n'existent pas. Il n'y a que « Ici et Maintenant ». Mais dès que je quitte ce point, je me replace dans l'espace-temps, perdant en quelque sorte mon éternité. Je me déplace alors soit sur l'axe horizontal, disons que c'est l'axe du temps, soit sur l'axe vertical, disons que c'est l'axe de l'espace.
1/ LE TEMPS
Si je ne suis plus en conscience dans le Présent atemporel, c'est que je suis parti en pensées soit dans le PASSÉ, soit dans le FUTUR. Puis-je alors prendre conscience qu'aucune de ces deux directions ne me permet d'être stable et en paix du point de vue de ma vie intérieure ?
Si je vis mentalement dans le passé, plein de regrets pour ce que j'aurais dû faire ou de tristesse pour ce que j'ai perdu, ou bien de culpabilité pour les erreurs que j'ai commises (tout cela étant uniquement ce que j'estime avoir fait ou manqué ; c'est à tort ou à raison...), il est relativement facile pour moi de voir que je souffre, que je ne suis pas dans ma pleine liberté vivante. Mais il me faut absolument voir aussi que si je suis attaché.e à des souvenirs heureux du passé, dans une forme de nostalgie dans laquelle je cherche toujours à me réfugier, il s'agit tout autant pour moi d'une forme de limitation, car focalisé.e sur le passé je ne suis plus alors en mouvement au présent, je me ferme à ses opportunités, je me coupe de la vraie vie. Je n'évolue plus, je stagne. Donc je régresse.
Il en est de même quand je vis mentalement dans le futur. La souffrance intérieure est manifeste si je vis constamment dans l'angoisse du lendemain, inquiet de l'à-venir, paniqué à l'idée de tout ce qu'il pourrait m'arriver ou mal se passer dans ma vie. Mais ne vivre que dans l'espoir de temps meilleurs, certes ça fait du bien à l'ego traumatisé ou meurtri, ça console le « petit moi »... mais cela ne permet pas non plus de trouver l'équilibre inébranlable en soi. Dans l'attente constante, j'attendrai constamment que ce soit l'extérieur qui me comble, au lieu de chercher à trouver déjà là, en moi, ma plénitude. Le pire étant que ce conditionnement intérieur tourné vers l'avenir à la fois s'auto-perpétue et s'auto-réalise : si je crois que mon bonheur se produira seulement « un jour » dans l'avenir, cela s’avérera ainsi pour moi ! Le moment tant attendu ne viendra jamais, il sera toujours repoussé « devant moi » dans le temps, car c'est moi qui me crée ma propre réalité. Je serai toujours à l'attendre, en fait à courir après lui... jusqu'à ce que je me rende compte que je n'ai pas besoin du temps pour être heureux dès maintenant.
Lorsque je me perds en pensées dans le temps, dans le passé ou dans le futur, je ne peux pas vivre pleinement intérieurement chaque instant que m'offre le présent, et je ne peux de ce fait ni mûrir ni évoluer vraiment. Bien sûr, je peux évoquer le passé, m'en remémorer les bons et les mauvais moments pour en tirer enseignement, tout comme me stimuler en me fixant des buts pour l'avenir, mais vivre de façon pleinement consciente, je ne le peux que dans l'instant du Présent, instant après instant.
2/ L'ESPACE (de moi à l'autre)
Si je ne fuis pas l'instant présent dans le temps, l'autre façon consiste toujours à me projeter hors de moi mais cette fois-ci dans l'espace relationnel, c'est-à-dire soit vers les autres ou les choses extérieures, soit vers une image de moi, une « chosification » de moi, ce qui constitue donc toujours bien une sortie de moi.
Commençons par le fait d'investir l'autre, les autres ou même « la vie », de mes propres projections : histoires, fantasmes, jugements, etc. Au lieu de les accueillir simplement objectivement tels qu'ils sont, je les réduis à la projection mentale que j'en ai (venant de ma propre part d'ombre, de mes propres préjugés non éclairés), à l'image que j'ai d'eux.
Concrètement, quand je suis « parti chez l'Autre », soit je lui fais porter la responsabilité de ma contrariété et de ma frustration intérieure, soit à l'inverse je l'idolâtre dans une quête de fusion ou dissolution avec lui. Vous constatez là encore une polarité facilement reconnaissable comme négative, perturbante et perturbatrice, qui se manifeste par des émotions comme l'envie, la jalousie, la rancœur, l'agressivité vis-à-vis de l'autre... Et puis il y a l'autre polarité opposée, a priori plus désirable mais qui relève pourtant du même processus, donc qui s'avérera à un moment ou à un autre également source de souffrance intérieure, quand je commencerai à vouloir brûler et détruire ce que j'ai tant « aimé », parce qu'il ne comblera plus parfaitement mes illusions. Je reprocherai alors à l'autre d'avoir été sous sa coupe, alors qu'en vérité c'est toujours et uniquement moi-même qui lui aura donné ce pouvoir.
Pour m'aider à voir clair sur cet axe, je peux aussi me demander dans quelles affaires je suis ? Est-ce que je m'occupe seulement de mes affaires, ou bien est-ce que je me mêle mentalement de celles des autres ? Si je suis toujours à m'énerver ou à me lamenter à cause des autres (« il devrait être comme ceci », « elle ne devrait pas faire cela »...), ou à cause de « la Vie » ou de ma conception de Dieu (« la vie est injuste et cruelle », « pourquoi Dieu permet-il tout cela ? »...), je ne suis plus alors en contact avec moi-même. Je me laisse tracasser par ce sur quoi je n'ai aucun contrôle, donc je souffre inévitablement. Et pendant ce temps-là, qui s'occupe de mes affaires à moi, si moi-même je suis toujours dans celles des autres ? Je suis le seul à pouvoir le faire, et c'est un boulot à plein temps ! Je dois donc cesser d'abdiquer ma responsabilité personnelle et rendre à l'autre ce qui appartient à l'autre ; rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu.
Venons-en à l'autre direction spatiale, plus étonnante à première vue, quand je « pars chez moi » !
Je crois revenir à moi, mais en fait non, je suis quand même parti ailleurs, je me suis quand même quitté. Je ne suis plus parti me perdre dans les images et les films que je me raconte sur les autres, mais dans toutes les pensées et tous les jugements que je porte sur moi-même. Là encore, à nouveau, nous nous retrouvons avec les deux polarités possibles : soit des pensées négatives sur moi-même (« je suis nul/le, bon/ne à rien », « je ne suis pas digne d'être aimé/e »...), soit des pensées faussement positives sur moi-même (« je suis la plus belle », « je suis le meilleur »...), le jugement dans ce sens étant aussi nocif au final que dans l'autre sens. Car c'est toujours une séparation. Je me suis séparé de moi, et je porte un regard jugeant sur ce moi que j'ai séparé de moi ! Ce n'est donc plus Moi que je regarde, mais un « moi de Moi », un « sous-Moi » : une image mentale de moi-même, l'image que j'ai de moi – ce que je crois être, ce que je m'imagine être – mais pas Qui je suis vraiment, qui demeure toujours au-delà de toute image et identification mentale.
Récapitulons :
Nous avons donc 4 directions qui nous font quitter l'Ici et Maintenant. Chaque direction empruntée peut être suivie dans une polarité positive ou négative, mais dans les deux cas elle amène nécessairement un mal-être au final de par les sentiments générés.
Qu'est-ce que la souffrance ? Le non Ici-Maintenant ! Uniquement !
Dès que je ne suis plus dans un accueil total et une acceptation inconditionnelle de ce qui m'apparaît Ici et Maintenant, je le refoule, je refuse de le ressentir, et je quitte alors automatiquement mon Centre pour fuir, mentalement et émotionnellement, dans l'espace et dans le temps.
Mais cela ne résoudra pas le problème, c'est comme cacher la poussière sous le tapis : cela s'accumule de plus en plus, et à un moment il faut bien l'affronter et nettoyer ! Mais plus on attend, plus c'est long et difficile...
EN PRATIQUE :
La prochaine fois que je me sens distrait.e, mal à l'aise ou stressé.e, je peux me demander :
« Où suis-je, mentalement et émotionnellement, par rapport à ces quatre directions ? »
Ou, pour être plus précis quant au déroulement exact du processus intérieur :
Lorsque je me rends compte tout d'un coup que je n'étais plus présent.e à moi-même les instants d'avant ; lorsque je prends conscience à un moment que je n'étais plus juste uniquement Ici - à cet endroit - ou juste uniquement Maintenant - à cet instant ; lorsque je vois que je n'étais plus en mon Centre et que j'étais parti.e « ailleurs » : Où étais-je parti.e ? Dans quelle direction ?
Le fait de reconnaître là où j'étais lorsque j'ai quitté mon Centre me permet de ne pas me laisser aussi vite ré-entraîner hors de Celui-ci, et donc de me stabiliser un peu plus à chaque fois en Lui. À force de pratiquer ce questionnement, je gagne à chaque fois un peu plus en connaissance de moi, car je vois quelles sont mes directions de fuite habituelles ; par là-même, je gagne petit à petit en présence, donc en liberté spirituelle. C'est un formidable outil d'évolution, et pourtant très simple !
Bien sûr, comme pour les coordonnées mathématiques, là où je pars peut aussi avoir une composante sur les deux axes. Par exemple, si je pense que « de toute façon je n'y arriverai jamais, je suis trop nul », je me déprécie par rapport à un futur. Si je ne vis que dans mes souvenirs d'un amour passé (« Ah, comme j'étais heureuse avec lui ! Pourquoi m'a-t-il quittée ? »), je suis à la fois dans le passé et toujours chez l'autre, même des années après la rupture. Cela me permet de voir mes tendances psychologiques, donc de mieux cibler là où je dois travailler si je suis engagé dans une démarche de développement personnel. Mais spirituellement, le cadran en lui-même où je me dirige n'a pas d'importance, ce qui compte c'est vraiment le fait de voir que je ne suis plus au Centre, Là, Ici. Pour mieux y revenir. Et pour mieux m'y ancrer.
J'aurais beaucoup à dire sur ce Centre lui-même, sur la vie en lui, Ici et Maintenant, mais en attendant, je vous assure que la simple et seule prise de conscience que je ne suis plus Ici-Maintenant constitue déjà 50% du travail spirituel de libération intérieure ! C'est le premier pas fondamental ! Vous serez encore aux prises un moment avec les conditionnements qui vous poussent à « sortir de vous », mais vous en serez conscient/e. Et cela, ça n'a pas de prix ! La conscience de soi-même est tout. Avec le bon vouloir ancré dans l'Ici-Maintenant, elle amène tôt ou tard ensuite les aides nécessaires et la dissolution des conditionnements les plus tenaces.
Jérôme Lemonnier
Publication originelle :
Présences Magazine n°19 - Novembre 2020